Un crack du verbe
À 23 ans, Bryan Merel rappe sous le pseudonyme de « Fiosoma ». Habité par la culture hip- hop, ses influences sont hexagonales et américaines sur fond de décors locaux. Il veut faire de sa passion, la musique, une entreprise profitable. Récit du parcours d’un autodidacte qui a parfois flirté avec l’illégalité.
Fiosoma, « Only the best rises to the top » peut-on lire à son encolure, gravé à l’encre de Chine. (Photo Cécile MOUTIAMA).
Jeans de la tête aux pieds, chaussé des indémodables Stan Smith d’Adidas, lunettes Ray-ban, casquette vissée et tatouage apparent, Fiosoma soigne son style. Outre ce goût prononcé pour la mode, l’artiste a l’amour des mots et de la musique. « J’étais en section littéraire et j’aimais la poésie. J’ai des poèmes qu’un jour j’aspire à publier».
Cadet d’une fratrie de trois enfants, il caresse l’ambition d’être un artiste, ce qui n’est pas du goût de ses parents. Laetitia et Pascaline, ses sœurs, ont quant à elles embrasser des carrières plus conventionnelles. L’une dirige « Serial media communication » qui édite les magazines Planet multimédia et Planet z’animos. Tandis que l’autre gère une plateforme pôle emploi en métropole. Inutile de préciser que l’espérance est grande pour le petit dernier. « J’aimerais bien te voir défiler pour Saint-Cyr » projette sa maman en regardant le défilé du 14 juillet. Mais Bryan préfère vagabonder dans les chemins de la Plaine Saint-Paul en compagnie de ses amis. Leur passe-temps : fumer du cannabis et en vendre. « J’étais dans un engrenage avec des œillères » admet-il aujourd’hui. L’école n’est pas sa priorité et il décide de quitter la terminale littéraire à quelques marches du bac.
On imagine l’éloquence dont il a dû faire preuve pour convaincre sa maman retraitée de la poste et son papa ancien cheminot et salarié dans une assurance. Aujourd’hui âgés de 60 et 64 ans respectivement, ils ont pourtant, à l’époque, multiplié les rendez-vous avec le CPE du lycée. Mais leur fils assume ses choix. « Tout le monde me donnait perdant » se glorifie-t-il à présent, au vu de sa notoriété grandissante. Avant d’admettre avec du recul qu’il « aurait quand même pu concilier études et musique ».
D’abord à Saint-Benoît puis à Sainte-Marie c’est enfin à Saint-Paul que la famille s’installe. Bryan y grandit depuis le collège. C’est là aussi qu’il tourne des clips et tente de promouvoir à sa manière sa culture réunionnaise. Métis par son père métropolitain, il préfère sciemment s’exprimer dans la vie comme dans le chant en français voire en anglais. C’est avec ce même aplomb qu’il n’hésite pas à refuser un contrat pour un label londonien par volonté de garder le contrôle sur ses affaires. Pas de place pour le hasard : « Je ne peux pas me reposer sur mes lauriers, pour créer de la demande et je m’en donne les moyens». Photographe, ingénieur son et compositeur l’entourent pour faire de lui Fiosoma.
Productif
Personnage médiatique grâce aux réseaux sociaux qu’il maîtrise parfaitement pour faire son autopromotion, il a plusieurs projets musicaux à son actif. « Marie Jeanne Chronics », un album sur le cannabis, illustre bien sa volonté de faire passer des messages. En connaissance de cause, il met en garde les dangers que peut représenter cette substance « aux vertus aphrodisiaques » lorsqu’elle est mise dans les mains des non initiés.
« Au début j’ai vendu des stupéfiants pour produire ma musique » confesse-t-il sans fierté. Il peut désormais compter sur les royalties – redevance – qu’il retire de la diffusion de ses titres sur de multiples plateformes locales, nationales et internationales. Et puis, affirme-t-il, le labeur ne lui fait pas peur, il ne rechigne pas désormais à travailler comme vendeur de vêtements, dans la restauration ou dans la distribution de magazines.
Fiosoma souhaite aussi se diversifier en produisant sa marque de vêtement fabriquée en France. De sa voix de stentor, il constate que même si le coût est plus important, il en ressortira un certain cachet. Il se dit également fier d’être français et assure garder la tête froide face à sa médiatisation. Résumé de sa ligne de conduite : « Savoir profiter des bénéfices de la notoriété mais aussi fournir des efforts pour rester au top et contenter le public ».
Serait-il un rappeur de plus qui s’intègre au système ? Il se considère au contraire comme lucide et toujours critique. Il fustige par exemple l’attitude de certains jeunes « qui dans le bus se contentent d’écouter Kaf Malbar, Gradur, et Kaaris diffusés sur Exo fm » sans chercher à découvrir d’autres univers musicaux.
Enfin il délivre sa péroraison – conclusion sentimentale – en évoquant sa relation avec sa copine étudiante en L1 d’anglais dont il loue le soutien. S’il reconnaît que sa renommée lui a parfois permis de se lancer dans des histoires d’un soir, il connaît aujourd’hui la valeur d’un véritable échange sur le long terme. Pas si bad boy que cela…
Aymeric BATAILLE
Inventaire à la Merel
Si comme la plupart des adeptes francophones du rap, Fiosoma émaille son discours d’anglicismes (les games, la street…), il sait aussi capter des expressions savoureuses du kartié réunionnais ainsi que de l’univers du web. Morceaux choisis :
Fiosoma : anagramme de « mafioso » par rapport à son expérience de la rue.
Fumer un niaks, une tonj : fumer un joint.
Taper des stats : obtenir de nombreux clics pour ses vidéos postées sur le web.
Blaze : nom de scène.
974CALI : Réunion-Californie nom d’un de ses projets musicaux à venir.