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4 mars 2015 3 04 /03 /mars /2015 10:18

Vivre de philosophie et d’eau fraîche

Soleïman, du bout de son art, titille notre vision aseptisée du monde (Photo Valeska GRONDIN)

Soleïman, du bout de son art, titille notre vision aseptisée du monde (Photo Valeska GRONDIN)

À 41 ans, Soleïman a un débit de parole semblable à celui d’un éternel adolescent qui se chercherait encore. Cheveux grisonnants ébouriffés, jean, baskets et sac à dos. Cet adulescent arpente encore la BU à la recherche de connaissance. Rétrospective d’une vie d’artiste particulière …

 

Diplômé des Beaux-Arts en 2000, Soleïman Badat possède de nombreuses cordes à son arc. Vidéaste, auteur, compositeur, musicien, photographe, infographiste, illustrateur. Autant de disciplines qui rendent son parcours atypique. Muni d’un CV de trois pages bien fournies, ce performer ne s’en vante pas pour autant. « Je privilégie les actes aux discours », confie-t-il avec un sourire sincère qui trahit toutefois une légère anxiété. Quant à son patronyme, il précise n’avoir aucun lien avec la famille de commerçants prospères bien connue sur l’île. « Ça m’a déjà porté préjudice, se souvient-il, un jour une amie que je ramenais s’est étonnée que ma voiture soit vieille et que je pestais contre le système ; elle me prenait à tort pour un fils à papa ». En réalité, ce Dionysien est issu d’une famille musulmane de la classe moyenne. Sa mère a dû renoncer à des aspirations professionnelles plus créatrices pour privilégier un emploi dans la fonction publique. Et jusqu’à récemment, il a toujours connu son père commerçant, endetté. Soleïman lui n’a pas d’enfants et n’est pas marié (mais a failli l’être !). Il n’y est pas opposé mais partage une vision différente de la vie. Une succession d’événements. « Tu vis une chose puis une autre… La vie est une ligne, un chemin qui mène à un objectif ». Son existence n’est pas un long fleuve tranquille et il fait en sorte qu’elle ne le soit jamais.

 

« Je ne suis pas un artiste »

 

L’esthète vit de prestations diverses et le plus souvent éphémères. « Je n’ai pas de salaires fixes, j’ai plutôt des contrats sporadiques ». Il vend un travail purement artistique mais se contente des émoluments en rapport. « J’ai adapté mon mode de vie, mes besoins. Je me dis que j’ai de la chance d’avoir ce que j’ai », relativise-t-il. Il refuse de jouer le jeu truqué d’une société qui contraint à toujours consommer plus.

Son enfance, marquée d’évènements décisifs, l’a conduit à faire ces choix. « Je ne me voyais pas devenir commerçant comme mon père. Un jour, je l’ai vu complimenter une cliente sur l’achat d’une robe. Je n’ai jamais su s’il était sincère ». On l’aura compris, ce créateur atypique refuse de rentrer dans le moule. « La société compartimente les individus, les spécialise et leur impose un modèle de vie unique en créant des besoins ». Et le voici lancé dans un nouveau discours critique sur les médias, les sources d’informations et les idéologies dominantes « imposées » par les grandes puissances.

On revient à son activité artistique. Le mot le fait tiquer : « Je ne suis pas un artiste » martèle-t-il. « Dans la communauté musulmane, explique-t-il, l’artiste est souvent celui qui produit des représentations, ce qui peut être mal perçu. Alors que si l’on étudie bien le Coran, on peut avoir un avis inverse ». Plus généralement, l’artiste est également celui dont on ne sait pas ce qu’il fait. « Je ne crée rien, je transforme ce qui existe déjà ». Celui qui se définit comme un « touche-à-tout » utilise de nombreux outils. Son travail se base sur les médias, les remous de la société, le mimétisme, la société de consommation, les sciences et la géopolitique. Il se fait le relai de l’information et recherche les raisons plutôt que les faits. Pour lui , Internet peut présenter le pire comme le meilleur. Il s’intéresse surtout aux documentaires et aux investigations, écoute la radio de temps en temps, mais se méfie de la « soupe immonde » de l’information en continue.

 

Visiteur régulier du site du FBI

 

En ce moment, le quadragénaire dessine des personnages inspirés de bandes-dessinées et de manga qui évoluent dans un environnement chaotique sans pour autant « jouer dans le trash ». Mélange des styles et des disciplines.

Son inspiration, il la puise notamment dans les souvenirs de ses nombreux séjours à l’étranger. Véritable globe-trotter. Le voyage a pour lui une utilité fondamentale. Même s’il se déplace moins aujourd’hui, Soleïman ne compte pas les allers-retours entre Réunion, Métropole, Autriche et Canada. Ce polyglotte qui parle sept langues a souvent été confronté à l’islamophobie ambiante. Il se souvient comment, un jour, « une douanière canadienne se demandait comment je pouvais m’installer pendant trois mois sans visa de travail ». Mais, cette différence est devenue une force. « La Réunion est encore préservée de ce rejet », estime-t-il. L’artiste engagé a des convictions. Essayer de comprendre, faire un travail personnel, chercher les sources, se remettre en question constamment. C’est son moteur. Même s’il doit pour cela visiter souvent le site du FBI…

En définitive, cet idéaliste se dit heureux, content de ce qu’il fait. Son art lui permet une certaine liberté. Musulman pratiquant, il a été particulièrement touché par les attentats de Charlie Hebdo. « Il y a peu de choses dues au hasard », considère-t-il, comparant ces événements avec la période nazie et sa propagande. Cependant, il considère que la liberté d’expression doit avoir ses limites. « Si non ça serait l’anarchie ».

Après avoir organisé et participé à de nombreux événements culturels, Soleïman est aujourd’hui membre de l’association LERKA (L’Espace de Recherche et de Création Artistique). Et envisage de se tourner vers l’agriculture bio. « Mes amis pensent que je suis dingue ! ».

Et quand on lui demande s’il n’est pas un peu complotiste, il rétorque qu’il n’a guère « de vérités absolues », qu’il cherche toujours à contrebalancer, à équilibrer des sources contradictoires. Toujours fidèle à ses valeurs et à sa philosophie : justice, liberté, vérité.

 

Anne SEVRIN

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